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Comment devenait-on chanoinesse de Sainte-Waudru ? [i]

 Lors des « Journées du Patrimoine » de septembre, la question a été posée à quelques reprises : comment devenait-on chanoinesse de Sainte-Waudru ?

Comment et par qui étaient-elles « rétribuées » ? Un bref rappel semble donc nécessaire.

À la fin du VIIe siècle, après la mort de Waudru, les « quelques femmes de noble naissance » qui avaient choisi de l’accompagner dans sa retraite sur la colline, sur laquelle se développera plus tard la ville de Mons, décident de perpétuer sa mémoire et de la promouvoir. La petite communauté monastique suivra plus ou moins pendant deux siècles la règle de saint Benoît, mêlée sans doute à des usages locaux. À l’époque carolingienne, dans le sillage du concile d’Aix-la-Chapelle (816/17), il est possible que la règle canoniale ait remplacé la règle bénédictine, mais le manque de sources ne permet pas de trancher.

On peut cependant admettre, qu’au XIIe siècle au plus tard, la communauté monastique fut remplacée par un chapitre de chanoinesses. Les religieuses suivent désormais non plus une règle mais sont astreintes à un règlement.

Les chanoinesses devront (décision du 1er février 1214), pour entrer au chapitre, prouver qu’elles sont filles légitimes de chevaliers :

[Les comtes de Flandre et de Hainaut – Ferrant et Jeanne] « décident que les trente prébendes de dames de l’église de Sainte-Waudru ne seront conférées par eux et leurs successeurs qu’à des filles de chevaliers, nées légitimement, et qui ne pourront être admises qu’à ces conditions par le chapitre ; qu’en outre, les dix prébendes de clercs séculiers restent à leur collation, et qu’ils pourront les accorder à tels clercs qu’il leur plaira »[ii].

Avec le temps, elles devront également justifier de quatre, puis de huit et enfin (1769) de seize quartiers de noblesse (huit du côté du père et huit du côté de la mère). C’est dire si, à la fin de l’ancien régime, la collégiale était administrée par des filles de la haute noblesse.

Il sera également décidé, dès la création du chapitre, que c’est le souverain, en l’occurrence le comte de Hainaut, qui nomme les chanoinesses en accordant les prébendes vacantes. Le nombre de prébendes pour les chanoinesses sera limité à trente (nombre parfois réduit ultérieurement en de rares occasions) et il y aura également dix prébendes de chanoines « forains » (le nombre sera souvent réduit jusqu’à la révolution française pour n’en retenir que deux ou quatre maximum).

Des luttes d’influence entre les familles qui souhaitaient qu’une (voire plusieurs) de leurs filles puisse être acceptée dans l’institution montoise rythmeront alors les arrivées des nouvelles chanoinesses, parfois après de longues négociations entre le souverain et la famille de la future chanoinesse.

Les filles de la noblesse qui étaient proposées pour devenir chanoinesses de Sainte-Waudru étaient parfois âgées de quelques mois seulement. À la demande du chapitre, un âge minimum – 7 ans – fut cependant imposé en 1587 pour être admise (mais cet âge minimum ne fut pas toujours respecté, notamment dans la première moitié du XVIIIe). Il ne faut pas y voir une forme d’abandon de la part de famille mais une chance donnée à l’enfant (sans omettre le prestige qui pouvait rejaillir sur la famille). En effet, dans les familles nobles, le fils aîné héritait de tout (titres et biens), ses frères étaient destinés à faire carrière dans l’Eglise ou dans l’armée. Quant à ses sœurs …

Ainsi, les « demoiselles de la noblesse »[iii] qui pouvaient entrer à Sainte-Waudru étaient assurées de recevoir une très bonne éducation, de disposer de bons revenus et de pouvoir quitter l’institution pour se marier le moment venu. Rappelons qu’elles ne prononçaient pas les vœux de pauvreté, de chasteté et d’obéissance, propres aux moniales, mais étaient néanmoins astreintes à une série d’obligations religieuses, à commencer par l’assistance aux offices.

Mais pour entrer au chapitre de Sainte-Waudru, il fallait qu’une place se libère et revienne au souverain qui pouvait alors, en fonction des noms qui lui étaient proposés, l’accorder à une nouvelle chanoinesse.

Les prébendes se libéraient, sans être exhaustif, de plusieurs manières :

  • par la mort d’une chanoinesse (option naturelle mais pas forcément la plus fréquente)

« 22 septembre 1723, à Bruxelles. — Lettres par lesquelles Charles, empereur des Romains, etc., confère à Maximilienne-Thérèse d’Ongnies, fille légitime de Ferdinand-Charles-Joseph d’Ongnies, comte de Coupignies et de Morchove, et de Marie-Charlotte-Madeleine de Berghes, la prébende du chapitre de Sainte-Waudru vacante par la mort de Marie-Thérèse de Mérode »[iv].

  • par l’entrée en religion d’une chanoinesse (cas rare)

« 16 juin 1616, à Mariemont. — Mandement des archiducs Albert et Isabelle, conférant à Françoise de Gavre, fille légitime de Charles de Gavre, chevalier, comte de Fresin, et de Françoise (Marie) de Renly, la prébende du chapitre de Sainte-Waudru vacante par l’entrée en religion de Marie de Gavre, sa sœur »[v].

  • par la résignation / démission d’une chanoinesse (option peu fréquente)

« 29 décembre 1768, à Vienne. — Lettres de l’impératrice Marie-Thérèse conférant à Ernestine, fille légitime de Joseph-Adam-Jean-Népomucène, prince de Schwartzenberg, et de Marie-Thérèse, née princesse de Lichtenstein, la prébende du chapitre de Sainte-Waudru vacante par la résignation de la comtesse Marie-Anne d’Althann »[vi].

  • par le mariage d’une chanoinesse (option assez fréquente)

« 14 mars 1616, à Bruxelles. — Mandement des archiducs Albert et Isabelle, conférant à Marie-Philippe d’Ongnies, fille légitime d’Antoine d’Ongnies, chevalier, seigneur de Peranchy et de Philoirne, grand bailli des bois de Hainaut, et de Marguerite de Jauche dite de Mastaing, héritière de Sassegnies, la prébende du chapitre de Sainte-Waudru vacante par le mariage de Chrestienne de Croy dite d’Havré »[vii].

  • par le transfert ou la promotion d’une chanoinesse vers un autre chapitre (cas exceptionnel)

« 12 août 1728, à Bruxelles. — Lettres par lesquelles Charles, empereur des Romains, etc., confère à Marie-Philippine-Françoise-Adolphine de Berlaimont, fille légitime de Charles-Nicolas-Joseph, comte de Berlaimont de Wideux, et de Marie-Anne-Antoinette, née marquise d’Assche, la prébende du chapitre de Sainte-Waudru vacante par la promotion de la princesse de Hohenzollern à l’abbatialité du chapitre de Munsterbilsen »[viii].

Les chanoinesses recevaient leurs prébendes (c’est-à-dire la somme due pour remplir les fonctions de chanoinesse) des mains du receveur du chapitre. C’est en effet cette institution qui payait les prébendes sur base de ses revenus. Les fermes, les terres, les bois, propriétés du chapitre, étaient loués et les importants revenus de ces locations constituaient les rentrées financières principales du chapitre sur lesquelles étaient « ponctionnées » les sommes nécessaires au paiement des prébendes.

Les chanoinesses recevaient directement et personnellement leur prébendes (elles signaient un reçu au receveur) mais il est parfois arrivé que certaines chanoinesses représentent l’une d’entre elles absente de Mons … pour un long moment (même si le règlement, du moins à partir de 1545, n’autorisait pourtant pas plus de six mois d’absence par an 😉).

Ainsi, quelques filles de la noblesse « européenne » (issues majoritairement du Nord-Ouest de l’Europe) qui semblaient « abandonnées » par leur famille, parfois juste au tout début de leur existence, ont pu vivre, finalement en privilégiées, des vies riches d’apprentissages, de rencontres et de décisions (dont certaines rythment toujours la vie des Montois au XXIe siècle) !

 

 

Benoît Van Caenegem

Conservateur de la collégiale Sainte-Waudru

et de son Trésor

[i] Merci à François De Vriendt pour sa lecture attentive, ses corrections et suggestions.

[ii] DEVILLERS Léopold, Chartes du Chapitre de Sainte-Waudru de Mons, tome 1, Bruxelles, 1899, p. 100-101. Il s’agit de la charte n° LVIII dont le texte latin qui concerne les chanoinesses est : « … ut nulla de triginta prebendis dominarum ipsius ecclesie, alicui persone a nobis, vel a successoribus nostris de cetero conferri, vel ab eadem ecclesia in canonicam aut sororem possit admitti, nisi ipsa persona militis filia, fuerit de thoro legitimo … ».

[iii] C’est seulement en 1760 que l’impératrice Marie-Thérèse leur confère le titre de « Dame ».

[iv] DEVILLERS Léopold et MATTHIEU Ernest, Chartes du Chapitre de Sainte-Waudru de Mons, tome 4, Bruxelles, 1913, p. 632.

[v] Idem, p. 386.

[vi] Idem, p. 697.

[vii] Idem, p. 385.

[viii] Idem, p. 638.