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…quoi de plus normal !

Lors d’une récente visite de la collégiale, j’ai été interpellé par un visiteur me demandant ce que représentait la croix peinte et gravée sur un des murs de la chapelle dédiée à Notre-Dame de Tongre.

 Des croix dans une église, quoi de plus normal ! Mais des croix gravées dans la pierre des murs, pourquoi ?

 (cliquer sur les photos pour une meilleure visibilité et l’accès aux légendes)

 

Pour comprendre ces croix qui se trouvent dans la collégiale, il faut remonter au 13 mai 1582 et lire ce que nous dit l’historien montois Gilles-Joseph de Boussu, en évoquant la collégiale Sainte-Waudru : « Le 13 de mai 1582, & jours suivants, André Evêque de Calcédoine Suffragant du Seigneur de Berlaimont, Archevêque de Cambrai, bénit, dédia, & consacra ce beau temple avec 24 autels qui étaient alors achevés[i] ».

En effet, lors de la consécration d’une église (aussi appelée « dédicace de l’église » – qui a donné dans nos régions les fêtes connues comme des « ducasses »), l’évêque (ou l’officiant délégué) va oindre, à l’aide du Saint-Chrême, douze croix localisées sur les murs, les piliers ou les montants des entrées de l’édifice. Le nombre de douze est symbolique : c’est un rappel des douze apôtres !

À l’origine, les croix étaient peintes ou gravées. Celles qui étaient gravées dans la pierre (grès -murs- ou pierre bleue -piliers- dans le cas de la collégiale) étaient alors intégrées dans un décor peint afin de les rendre visibles et de témoigner que l’édifice est bien consacré. Dans la collégiale Sainte-Waudru, il ne reste que quelques traces de ces anciennes peintures qui mettaient en valeurs les croix de consécration Il était aussi habituel que ces croix soient accompagnées d’une applique/chandelier dont le cierge brûlait au jour de la dédicace. Si de telles appliques ont existé en la collégiale Sainte-Waudru, il n’en reste rien aujourd’hui.

En parcourant la collégiale et en regardant murs et piliers à +/- 3 m de haut, il est encore possible de voir aisément neuf de ces croix de consécration[ii] :

  • une près de la grande croix du XVIe qui est dans le collatéral sud
  • une dans la chapelle Saint-Yves
  • une dans la chapelle Saint-Roch
  • une dans la chapelle de Notre-Dame de Tongre
  • une dans la chapelle Saint-Hilaire
  • une sur le premier pilier nord de la nef
  • une sur le premier pilier sud de la nef
  • une sur le premier pilier nord du sanctuaire
  • une sur le premier pilier sud du sanctuaire

Mais lors de la dédicace de l’église, comme le précise Gilles-Joseph de Boussu en évoquant la cérémonie du 13 mai 1582 en Sainte-Waudru, il n’y avait pas que l’édifice à consacrer. Les autels (ceux, entre autres, des chapelles) devaient aussi l’être.

Une lettre de Louis de Berlaimont[iii], archevêque de Cambrai, date les opérations notamment en ce qui concerne la consécration des vingt-quatre autels[iv] : deux autels, situés sous le jubé de Du Broeucq, sont consacrés le 13 mai 1582, le même jour que la collégiale ; quatre autels le 15 mai ; six autels le 16 mai ; quatre autels le 17 mai ; cinq autels le 18 mai ; un autel (celui situé sur le jubé) le 19 mai ; deux autels le 29 mai.

Ainsi, outre les reliques déposées dans une cavité pratiquée dans la table d’autel, l’autel recevait sur sa partie supérieure cinq croix gravées. Lors de la consécration de l’autel, l’évêque les oint avec du Saint-Chrême. Ces croix (une dans chaque coin et une au centre[v]) sont soit :

  • gravées directement sur le dessus, en pierre (chapelles 12, 21 et 22[vi]) ou en marbre (chapelles 1 et 28[vii]), de l’autel ;
  • gravées sur une pierre intégrée dans la table d’autel[viii].

 

Pourquoi ces croix sont-elles au nombre de cinq sur les autels ? Il s’agit ici d’un rappel des cinq plaies du Christ : deux dans ses mains, deux dans ses pieds et une dans son côté.

Outre les autels fixes dans la collégiale, le Trésor de la collégiale Sainte-Waudru possède un autel portatif (27,5 cm x 21 cm, épaisseur de 3cm). Il fut consacré, selon inscription à même le bois[ix], le 21 mars 1466 par l’évêque d’Arras, Pierre de Ranchicourt. L’autel se présente sous la forme d’un bloc de bois dans lequel est inséré un bloc de marbre muni des cinq croix de consécration, une au centre et quatre dans les coins.

Mais, évidemment, il n’y a pas que des croix de consécration dans la collégiale. En voici quelques-unes parmi les très nombreuses conservées en la collégiale.

Deux importantes croix d’autel sont bien connues des paroissiens de Sainte-Waudru : une de 1742 et une du XIXe siècle.

La croix de 1742, réalisée par l’orfèvre du chapitre Pierre-Joseph de Bettignies, est en cuivre, cuivre doré et argent. Vu sa valeur patrimoniale, elle n’est que rarement placée sur le maître-autel. On peut ainsi la voir, avec certitude, lors des fêtes de la Ducasse de Mons (descente et remonte de la châsse) et lors des Te Deum.

La croix du XIXe, œuvre de Joseph Lecocq-Martin (1772-1850), était placée sur le maître-autel le reste de l’année. Elle avait, à l’origine, été créée pour la chapelle dédiée à Notre-Dame de Tongre (chapelle 15).

Depuis que le maître-autel sert de nouveau pour les offices[x] (on n’utilise plus un petit autel en bois installé devant), une croix est placée légèrement en retrait du maître-autel tandis que les deux croix (1742 et XIXe) sont conservées et exposées au Trésor.

Quant aux processions qui se déroulent dans la collégiale, elles sont ouvertes par une croix (sur hampe). Plusieurs de ces croix, de styles et de dates variés, existent mais la plus ancienne appartenant à la collégiale (1595 – exposée au Trésor), en argent partiellement doré, dite de Bourgogne, est celle qui ouvre les cortèges solennels des cérémonies de descente et de remonte de la châsse de sainte Waudru.

Notons aussi la grande croix qui se trouve au fond du collatéral sud. Le Christ qui y est attaché date du XVIe (sa polychromie a probablement été retouchée de très nombreuses fois au fil des siècles). La croix n’est plus celle d’origine. Le Christ, en bois, est contemporain du jubé de Du Broeucq et, pourquoi pas, pourrait être celui qui était fixé sur la croix triomphale qui a existé au-dessus du jubé peu après sa création…[xi]

Lors de la prochaine Ducasse, si vous ne passez pas avant par la collégiale, prenez-quelques minutes pour regarder les croix évoquées plus haut et porter ainsi un autre regard sur le patrimoine de la collégiale Sainte-Waudru.

Benoît Van Caenegem

Conservateur de la collégiale Sainte-Waudru

et de son Trésor

[i] DE BOUSSU, Gilles-Joseph, Histoire de la Ville de Mons, Mons, 1725, p.152.

[ii] Si les douze croix de consécration ont, comme ce serait logique, été réalisées dans la collégiale Sainte-Waudru, trois d’entre elles sont alors « bien cachées » ou ont disparu avec le temps.

[iii] DEVILLERS Léopold et MATTHIEU Ernest, Chartes du Chapitre de Sainte-Waudru de Mons, tome 4, Bruxelles, 1913, p. 206-210.

[iv] Louis de Berlaimont précise dans sa lettre les noms des autels et les reliques qui ont été déposées dans chacun d’eux.

[v] Parfois une sixième croix est gravée sur le bord de l’autel ou de la pierre d’autel.

[vi] Dans les chapelles 12 (chapelle Saint-Ghislain), 21 (chapelle Saint-François)  et 22 (chapelle des Féries), les cinq croix d’origine gravées sur chaque table d’autel ne sont plus visibles (des pierres gravées des cinq croix y ont été intégrées). Il est fort probable que les croix manquantes soient sur la table d’autel dans la partie qui se prolonge sous le retable ; et, quand la croix du centre est manquante, il est fort probable qu’elle se trouvait à l’endroit de la pierre enchâssée.

[vii] Il s’agit des chapelles Saint-Pierre (1) et du Saint-Sacrement (28).

[viii] Le cas du maître-autel est intéressant. La table d’autel est en bois.  Une pierre « ancienne » ( ?) y est insérée sur laquelle figurent gravées quatre croix de consécration. A l’emplacement de la croix centrale une autre pierre a été insérée qui porte, elle, les cinq croix de consécration habituelle.

[ix] Une traduction de l’inscription est notée sur un morceau de parchemin attaché à l’autel portatif par une ficelle (cette traduction, selon les archives de l’abbé Noirfalise, est de Léopold Avaert).

[x] Le maître-autel n’est ainsi plus un simple décor mais il a retrouvé sa raison d’être. Personne ne regrette le petit autel en bois qui était placé en haut des marches du sanctuaire pour les offices et qui dissimulait, en grande partie, le maître-autel (composé de trois fragments du jubé de Jacques Du Broeucq).

[xi] Un Christ en bois très semblable mais sans la croix se trouve sur un des murs de la chapelle de Notre-Dame des Sept douleurs. Cette œuvre a été donnée à la collégiale Sainte-Waudru par les religieuses du Sacré-Cœur au moment où elles ont quitté l’institution montoise.