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Les « Journées du Patrimoine 2022 » mettent en évidence l’innovation sous toutes ses formes.

Les citer toutes, en ce qui concerne la collégiale Sainte-Waudru, serait fastidieux. Mais plusieurs d’entre elles méritent d’être évoquées.

 

 

 

(cliquer sur les photos pour une meilleure visibilité et l’accès aux légendes)

 

La première, c’est évidemment le passage au XVe siècle d’un édifice roman à la collégiale gothique que nous connaissons toujours au XXIe siècle. Les chanoinesses vivaient avec leur époque. L’art roman était dépassé et le gothique faisait merveille un peu partout en Europe. Il fallait « moderniser » la collégiale. Les Dames du chapitre ont osé franchir le pas. Nul doute qu’à l’époque, ce fut un véritable bouleversement pour les Montois que de voir un édifice gothique s’élever dans leur ville.

Au début du XVIe siècle, les chanoinesses disposent du chœur de leur nouvelle église et elles souhaitent le fermer par un jubé. Elles vont alors s’adresser à un jeune artiste émerveillé par la Renaissance, découverte lors d’un voyage en Italie : Jacques Du Broeucq[1].

C’est à lui qu’elles confient la réalisation de leur jubé. Elles lui laissent « carte blanche » (ou presque quand on sait le soin que mettaient les chanoinesses à tout contrôler).

Du Broeucq va pouvoir innover ! Le choix des matériaux sera le premier pas novateur : à la place de la pierre bleue habituelle pour ce genre de construction, l’artiste va « imposer » le marbre blanc et le marbre noir pour la structure ; il fera ensuite choix de l’albâtre pour les reliefs et les statues.

Mais il ne s’arrête pas là. Le jubé ne présentera pas des personnages figés. Il y aura de la vie. Les reliefs et les statues semblent des instantanés photographiques. On a l’impression que Du Broeucq a imprimé le mouvement dans l’albâtre. On a l’impression qu’un rien lui donnerait vie. De même les statues, plus déesses grecques que vertus au premier regard, semblent prêtes à s’animer tant l’artiste a mis de l’intensité dans leur représentation.

Bref, coup de génie des chanoinesses qui s’offrent un magnifique jubé pour fermer le chœur de leur collégiale[2]. Mais également, une exceptionnelle chance pour les Montois qui, depuis le XIXe mais surtout le XXe siècle, découvrent une œuvre témoin de l’audace des chanoinesses qui ont osé la modernité au XVIe siècle.

Mais nos chanoinesses ont aussi innové au XVIIIe siècle.

D’abord, elles ont sacrifié, probablement conseillées par le ferronnier du chapitre, à la mode du fer. En effet, elles font remplacer en 1775 les meneaux de pierre du vitrail du transept sud (verrière représentant le Baptême du Christ offerte en 1533 par l’ordre de Malte) par un châssis en fer. Ce geste des chanoinesses sera « corrigé » au XIXe siècle avec le rétablissement des meneaux. Dans son Mémoire historique et descriptif sur l’église de Sainte-Waudru à Mons en 1857, Léopold Devillers écrivait (p. 38) : « … il sera facile de rétablir la verrière de l’ordre de Malte, lorsque le châssis de fer, dans lequel ses débris se trouvent actuellement, aura été remplacé par des meneaux de pierre, réparation bien désirable, qui rendra au transept son uniformité ». Les « réparations » furent exécutées fin du XIXe siècle et la verrière a retrouvé une partie de sa splendeur d’antan.

Mais, revenons aux innovations souhaitées par les chanoinesses. En 1780/1781, et cette innovation est toujours bien présente, elles font réaliser un nouveau Car d’Or pour « processionner » les reliques de sainte Waudru. Le Car d’Or actuel correspond ainsi à leurs goûts à la fin du XVIIIe siècle.

Quand nos chanoinesses changeaient de Car d’Or, elles ne gardaient quasiment rien de l’ancien[3]. Elles n’accordaient apparemment aucune valeur patrimoniale au Car d’Or. Il était un moyen pour mettre en évidence les reliques de leur sainte Patronne. Le véhicule ne plaisait plus ou n’était plus en bon état, il suffisait de le remplacer.

Parler du Car d’Or, c’est aussi dire que l’actuel véhicule approche les 250 ans (ce sera chose faite en 2030/2031). Et, comme les chanoinesses le faisaient en leur temps, il faudra prochainement songer à … faire réaliser un nouveau Car d’Or.

Et cette innovation-là (il sera nécessaire de très bien communiquer sur l’opération quand le moment sera venu) risque d’être difficile à accepter par les Montois, tellement ils sont attachés au « Kar Madame sainte Waudru ». Certes l’actuel Car d’Or sera conservé. Au moment du changement de Car d’Or, il faudra se dire que nous vivrons un moment comme l’ont connu les chanoinesses et les Montois du XVIIIe siècle : le passage d’un Car d’Or à un nouveau Car d’Or.

Toujours en parlant du Car d’Or, une autre « innovation » lui est liée. En 1840, il fut rentré dans la collégiale alors que du temps du Chapitre, il restait en dehors de la collégiale. Le Car d’Or, pour les chanoinesses, n’était qu’un moyen -un corbillard de luxe pourrait-on dire- pour Waudru reparcourir sa ville. Il n’y avait aucune raison de l’abriter dans la collégiale. Et à l’extérieur de la collégiale, il était « conservé » dans de moins bonnes conditions que dans la collégiale. Son « entrée » dans la collégiale en 1840 lui a, plus que certainement, permis d’atteindre le quart de millénaire[4].

Mais la collégiale a aussi connu d’autres innovations : le placement des verrières néogothiques et celui des autels / retables du même style ; le placement de peintures, de statues, de chaises ; les célébrations à la croisée ; l’installation des orgues dans la base de ce qui devait être la tour ; l’installation de la châsse de sainte Waudru au-dessus du maître-autel en 1825 ; l’heure de la cérémonie de la descente de la châsse passée de 15h00 à 20h00 ; la pose de la châsse sur le Car d’Or par deux hommes blancs ; …

Presque à chaque fois, des critiques surgissent quand un changement se produit. Et puis, le changement devient une tradition et gare à celui qui y touche … jusqu’au changement suivant !

Bref, des innovations techniques ou artistiques, il y en a toujours eu à Sainte-Waudru et il y en aura encore.  C’est tout ce que l’on peut espérer pour la collégiale qui, de la sorte, restera un lieu vivant et ne sera pas réduite au statut de musée…

 

 

Benoît VAN CAENEGEM

Conservateur de la Collégiale Sainte-Waudru

et de son Trésor

[1] Il est admis que c’est Du Broeucq qui introduit l’art de la Renaissance dans la région montoise.

[2] Le chœur, à la demande des chanoinesses, recevra une décoration renaissance tandis que les chapelles de la collégiale gardaient pour la plupart une décoration liée au style gothique.

[3] Trois angelots de l’actuel Car d’Or semblent pouvoir provenir du Car d’Or réalisé en 1700 par Claude-Joseph De Bettignies.

[4] Voir au sujet de l’entrée du Car d’Or dans la collégiale : VAN CAENEGEM Benoît, Mons : quelques informations non exhaustives à propos du Car d’Or depuis la création de la paroisse Sainte-Waudru le 16 octobre 1803… dans Annales du Cercle Archéologique de Mons, Tome 81, Mons, 2011, p. 929-945.