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Selon que l’on se trouve à Herentals ou à Mons…

 

Lors de la procession du Car d’Or du 26 mai 2024, le reliquaire du Chef de sainte Waudru était précédé du reliquaire de sainte Waudru qui est conservé en l’église Sainte-Waudru d’Herentals.

 

La cité flandrienne appartenait au chapitre de Sainte-Waudru à Mons depuis au moins 1182. Et en 1186, l’évêque de Cambrai décidait d’affecter un autel de l’église d’Herentals à sainte Waudru (le diocèse de Cambrai s’étendait alors du sud de Cambrai à la région d’Anvers).

Pour bien marquer le lien entre Herentals et le chapitre montois de Sainte-Waudru, il a été décidé en 1366 de créer un chapitre Sainte-Waudru en l’église paroissiale d’Herentals, composé de 7 chanoines (nombre pouvant être porté à 10 si les ressources le permettaient).

Des fonctions avaient été prévues au sein de la nouvelle institution : doyen, chantre, trésorier, curé de la paroisse. Le doyen, élu par le chapitre, disposait des droits spirituels sur les chanoines et devait présider les offices les jours de fêtes solennelles. Le chantre, élu par l’évêque, était chargé de la direction du chœur « dans le chant et la lecture ». Le trésorier, nommé par l’évêque, devait, entre autres, prendre soin des reliques, du trésor, des ornements liturgiques, …, tout en cogérant les biens de la Fabrique avec un marguillier. Le curé nommé par l’évêque, disposait des droits spirituels sur les laïcs de sa paroisse.

L’existence de ce chapitre fut relativement brève car en 1531, il n’est plus du tout question du chapitre de Sainte-Waudru de Herentals, mais juste de celui d’Hoogstraten qui semble avoir repris une partie du « personnel » du chapitre d’Herentals au fil du temps.

Les chanoinesses montoises possédaient donc, dès le Xe ou le XIe siècle et surement dès le XIIe, une partie de la ville d’Herentals, l’autre étant placée sous la responsabilité du Duc de Brabant. Elles veillaient ainsi à la nomination d’une partie des Echevins, le Duc s’occupant de l’autre.

La gestion de la ville entre ces deux pouvoirs « supra communaux » semble s’être déroulée correctement. Même si, de temps en temps, de petites frictions se faisaient jour entre eux.

Il était de tradition que le jour de la saint Remy, les chanoinesses, ou leurs délégués, se rendent à Herentals où un banquet était organisé, aux frais du chapitre montois, à l’occasion de l’élection ou de la réélection des magistrats d’Herentals.

Mais si le chapitre montois disposait de droits sur Herentals, Herentals ne disposait pas de relique de sainte Waudru, sa patronne.

Et pourtant, c’est à Waudru que les habitants d’Herentals attribuaient la délivrance de leur ville[i] lors du siège de 1620 par le prince Henri d’Orange. En souvenir de cette délivrance le peuple d’Herentals décida d’organiser chaque année une procession d’hommage à sainte Waudru le lundi de Pentecôte.

Plus d’un demi-siècle après l’épisode du siège de la ville, il fut décidé en 1685 de pourvoir Herentals d’une relique de la sainte. Le 21 septembre 1685, « Ensuite de l’instante prière des escoutète[ii], recepveur, bourgmaitre, eschevins et conseil de la ville d’Hérentals, faite aux dames chanoinesses du noble et illustre chapitre de sainte Waudrud, à Mons, d’accorder à la dévotion du peuple dudit Hérentals une pièce des saintes reliques de laditte sainte Waudru, patronne dudit Hérentals, pour y estre constituée et honorée en l’église principale dudit Hérentals ; elles y ont condescendu ; suivant quoy, le seigneur archevêque de Cambray, estant audit Mons, fut prié par lesdittes dames de séparer du saint chef de laditte sainte une petite partie »[iii].

La réponse de l’archevêque fut favorable et le prélèvement de la relique fut effectué sans tarder.

La relation de la cérémonie[iv] faite alors par l’archevêque et duc de Cambrai, Jacques Théodore de Bryas, signale que, comme il n’y avait pas de dent disponible, il a été nécessaire de découper une petite partie de la partie supérieure du chef (la mâchoire inférieure était alors probablement conservée dans la châsse du corps).

« Comme il n’existait séparément ni une dent, ni aucune autre parcelle, cependant, voulant par quelques moyens satisfaire au désir de ces illustres dames, qui, pour étendre le culte et l’honneur de leur patronne, et sollicitées par les magistrats, le curé et le peuple d’Herentals, voulaient favoriser leurs désirs pieux et ardents, nous avons jugé à propos de détacher une parcelle de la mâchoire supérieure sous l’œil gauche[v] ».

Les cérémonies s’étaient tenues, selon le texte qui les relate, en présence de 19 chanoinesses réunies en chapitre, de Jean-Louis Moreno[vi] et François-Edouard Roberty[vii], chanoines de Sainte-Waudru, de Jacques Duterne[viii], distributeur du chapitre et de Charles-Philippe de Masnuy[ix], Bailli du chapitre. Quelques jours plus tard, la relique était offerte à Herentals par deux délégués du chapitre montois : messieurs Moreno et de Masnuy, tous deux témoins de la séparation d’une parcelle du chef de sainte Waudru..

A leur arrivée à une lieue d’Herentals, le 30 septembre 1685, les deux représentants du chapitre montois furent accueillis par tout le clergé, les écoutète et magistrats[x], et le peuple. Le curé, accompagné de son clergé, et l’écoutète, accompagné du Magistrat, s’adressèrent aux députés des chanoinesses, le premier en néerlandais, le second en français. M. de Masnuy, Bailli du chapitre montois, prit ensuite la parole pour confirmer le don de la relique de sainte Waudru fait par les chanoinesses. L’écoutète, au nom du peuple, remercia « les dits deux députés et les assura que les très illustres dames chanoinesses trouveraient toujours un profond respect pour elles dans leur cœur et de toute la communauté d’Herentals, et une reconnaissance éternelle pour un si grand et si précieux don qu’elles leur faisaient »[xi].

La relique après avoir été présentée avec les actes de l’archevêque de Cambrai et de l’évêque d’Anvers, fut, déposée dans une boîte d’argent fermée à clef, remise dans les mains du curé d’Herentals.

La procession se mit alors en route vers la ville. En tête venait la croix, puis les serments armés, puis les Pères Augustins, puis les Pères Récollets, puis le clergé d’Herentals chantant les litanies des saints, puis les bourgeois de la ville et quelques enfants, puis le curé d’Herentals, portant la relique de sainte Waudru, escorté de Messieurs Moreno et de Masnuy portant chacun un flambeaux de cire blanche ; et enfin s’avançaient l’écoutète, le magistrat et tout le peuple.

La procession se dirigea vers l’église en empruntant les rues pavoisées de la cité. Dans l’église, la relique fut exposée sur un autel dressé au milieu de la nef. Un Te Deum fut chanté pour conclure la cérémonie.

Les députés des chanoinesses furent alors conviés à un banquet non sans avoir précédemment assisté à des jeux populaires et au renouvellement du magistrat. Les jours suivants, d’autres réceptions furent encore organisées avant que les députés des chanoinesses ne reprennent la route de Mons.

Plus de trois siècles après cette solennelle remise de la relique, Waudru est toujours, bien évidemment, Patronne d’Herentals. La relique offerte en 1685 par les chanoinesses est insérée à l’occasion de procession dans un reliquaire en bois polychrome, contemporain du don de la relique par les chanoinesses, qui, comme celui du XIXe réalisé pour Mons par l’Orfèvre Bourdon, affecte la forme d’un buste féminin.

Le buste en lui-même, argenté, est fixé sur une urne reposant sur des pieds de lion ; le tout posé sur un imposant socle. L’urne et le socle, dont la peinture rouge est garnie de fins entrelacs végétaux noirs, sont décorés de guirlandes et feuillages dorés. Un médaillon baroque fixé sur la partie avant de l’urne permet l’insertion du reliquaire rond contenant le fragment du chef de sainte Waudru. La relique est déposée sur un tissu de brocard et une inscription manuscrite, sur une bandelette de parchemin, l’identifie : « SANCTAE WALDETRUDIS ».

Ainsi, quand le reliquaire de Herentals est épisodiquement présent dans la procession dite du Car d’Or, le chef de sainte Waudru est un peu plus complet que d’habitude.

Le reliquaire du chef de sainte Waudru est bien le reliquaire de 1867 conservé en la collégiale Sainte-Waudru. Mais, comme Herentals possède un fragment du chef de la sainte, pourrait-on écrire que le reliquaire d’Herentals est un reliquaire « secondaire » du chef de sainte Waudru, à défaut de pouvoir parler d’un second reliquaire du chef de sainte Waudru ?

Mais l’essentiel, naturellement, c’est que Waudru, Patronne de Mons et d’Herentals, a souvent protégé, protège encore et protégera toujours les deux villes dont de nombreux habitants lui restent attachés au fil du temps !

Benoît Van Caenegem

Conservateur de la collégiale Sainte-Waudru

et de son Trésor

[i] Le récit de ce miracle est lu par le prêtre qui est sur le Car d’Or durant la procession de la Trinité à Mons quand le groupe d’Herentals y participe.

[ii] Le terme « écoutète » désignait soit le bourgmestre soit un représentant seigneurial. Dans le cas d’Herentals en 1685, il semble qu’il s’agisse d’un représentant seigneurial.

[iii] DEVILLERS Léopold et MATTHIEU Ernest, Chartes du Chapitre de Sainte-Waudru de Mons, Tome 4, Bruxelles, 1913, p. 581.

[iv] HOYOIS Emm., Documents pour faire suite à l’histoire de sainte Waudru, Patronne de Mons, Mons, 1848, p. 185-187.

[v] Le document de 1685 écrit « sous l’œil gauche » probablement parce qu’en regardant la relique, c’est bien du côté gauche que le prélèvement a été effectué.

[vi] Jean-Louis Moreno fut reçu chanoine de Sainte-Waudru le 15 février 1650.

[vii] François-Edouard Roberty fut reçu, par procuration, chanoine de Sainte-Waudru le 5 novembre 1680.

[viii] Jacques Duterne, « prêtre et distributeur des Dames Chanoinesses » (selon son acte de décès) est décédé le 21 mars 1709 et a été inhumé dans la collégiale.

[ix] Carles Philippe de Masnuy est décédé le 23 juillet 1710 et fut inhumé dans la collégiale. Sa pierre tombale existe toujours (chapelle 13 de la collégiale dédiée à sainte Aldegonde) et porte l’inscription : « ICY GIST NOBLE HOMME MESSIRE CHARLES PHILIPPE DE MASNUY CHEVALIER SR DE RADUELZ EN SON VIVANT BAILLY DU TRES NOBLE ET ILLUSTRE CHAPITRE DE STE WAUDRU LESPACE DE 34 ANS ET PLUS IL DECEDA LE 23 DE IULLET 1710 ET AUPRES DE LUY DAME IENNE MAGDELEINE AMAND SON EPOUSE DECEDEE LE 6 DE FEVRIER 1717 REQUIESCANT IN PACE ».

[x] Un seul écoutète (d’où le singulier) et plusieurs membres du magistrat.

[xi] DEVILLERS Léopold, Documents concernant les possessions du chapitre de Sainte-Waudru de Mons, à Herentals dans Annales de l’Académie d’Archéologie de Belgique XXVI, 2e série, Tome sixième, Anvers, p. 302. L’orthographe de la citation a été adaptée.