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première ainée du chapitre de Sainte-Waudru durant 29 ans !

 

En consultant le Mémoire que Léopold Devillers a consacré à la collégiale en 1857[i], dans la rubrique « ÉPITAPHES QUI NE SE RETROUVENT PLUS DANS L’ÉGLISE ET QUE NOUS AVONS EXTRAITES DE DIFFÉRENTS RECUEILS », le texte qu’il donne d’une pierre tombale d’une chanoinesse peut étonner. En effet, une chanoinesse, Mme de Melun, y est présentée comme chanoinesse durant 78 ans et première ainée durant 29 ans.

« D.O.M.  Icy gist le corps de très noble et très illustre dame madame Rufine de Melun dame de St Chin de Malincourt de Walincourt et chanoinesse de ce très noble et très illustre chapitre de Ste-Waudru l’espace de 78 ans première ainée celui de 29 ans décédée le 7 de janvier 1757, après avoir vécu exemplairement et comblé de nombre de bienfaits cette église et chapitre. R.I.P. »[ii]

Le registre des décès de la collégiale pour les années 1736-1770 évoque naturellement le décès de la chanoinesse :

« Le 8 [janvier 1757] fut enterrée madame Rufine de Meleun Chanoinesse pr. ainée du Chapitre Royal de Ste Waudru à l’Eglise dans un caveau près de la Chapelle Ste Waudru[iii] »[iv].

Il faut noter, et ce n’était pas le cas de toutes les chanoinesses[v], que le corps de Rufine de Melun fut déposé dans un caveau, privilège peut-être dû à sa longévité au Chapitre (78 ans) et à son mandat de première ainée de près de 30 ans !

En consultant les chartes du chapitre de Sainte-Waudru de Mons[vi], on apprend que Rufine de Melun fut pourvue de la prébende du chapitre de Sainte-Waudru, vacante par le mariage d’Olympe-Thérèse d’Arberg, par lettres, données à Bruxelles le 2 juillet 1679, du roi Charles. Rufine de Melun, selon une note sous la mention des lettres de prébende, « fit son entrée au chapitre le 28 juillet 1679 », soit 26 jours après sa désignation.

Elle avait alors à peine un peu plus de 4 ans. En effet, elle avait été baptisée (et était probablement née) le 5 février 1675 à Marquette-lez-Lille (orthographe de 1675) :

« Le cinquième du mois de février seize cent septante cinq en l’église paroissiale de Marquette fut baptisée Madelle Rufine Thérèse Alexandrine de Melun fille de Monsgr Philippe François de Melun Marquis de Risbourg general de bataille au service de sa Ma Catholicq, seigneur de Wallincourt, Clary, Selvegni, Sainguin Mallincourt[vii] & et de Madame Marie Thérèse de Gand sa femme ayant eust pour parin Monsgnr Alexandre de Hennin chevalier de l’ordre de la Toison d’Or général de l’Armée Impériale, quy délégua Monsieur Alexandre Albert François Bartholomé son filz, lequel subdélégua Monsieur Eustache de Froidemont licentié en la sacre Theologie chanoine et Thesaurier de la Collegiale de St Pierre a Lille, quy en fit fonction en la susditte qualité et baptisa, et pour marine Madame Louise de Gand Abbesse de Marquette & »[viii].

C’est au décès de Anne Albertine de Sainte-Aldegonde de Noircarmes, alors première ainée, le 31 octobre 1728 que Rufine de Melun commença ses fonctions de première ainée. Elle succédait ainsi à une chanoinesse rentrée au chapitre le 16 juin 1678 (lettres d’octroi de la prébende datées de Bruxelles le 25 mai 1678) et qui avait elle-même succédé comme première ainée à la princesse Claire de Nassau, décédée le 9 octobre 1727 (et enterrée le dix en la chapelle paroissiale).

« Novembre 1728

Le dernier d’octobre est morte la dame Anne Albertine de Ste Aldegonde de Noircarmes chanoinesse première ainée du chapitre de Ste Waudru enterrée le premier de ce mois »[ix].

« Le neuf [octobre 1727] est morte madame la Princesse Claire de Nassau chanoinesse première ainée du chapitre de Ste Waudru enterrée le dix en la chapelle paroissiale »[x].

A sa mort le 7 janvier 1757, Mme de Melun fut remplacée comme première ainée par Mme Alexandrine princesse de Croÿ Solre et du Saint-Empire. Cette dernière, reçue au chapitre le 7 décembre 1695, s’éteignit à Mons le 1er juin 1759.

« Le 1 de juin est encore morte Madame Alexandrine née princesse de Croÿ Solre et du St Empire première ainée du très noble et très illustre chapitre de ste Waudru et fut enterrée le 2 à l’église »[xi].

Les chanoinesses ainées étaient quatre et représentaient le chapitre. La première ainée était celle qui avait le plus d’ancienneté au chapitre (et donc ce n’était pas nécessairement la plus âgée).

A quatre, elles géraient le chapitre et veillaient à ce que les autres chanoinesses accomplissent correctement leurs fonctions ; c’est aussi elles qui convoquaient les assemblées capitulaires et contrôlaient les autres chanoinesses afin qu’elles respectent correctement les absences autorisées sous peine de diminution ou de perte de la prébende, voire d’exclusion du chapitre.

En 1665, un décret du roi Philippe IV avait bien défini (et limité) le pouvoir dont disposait la première ainée par rapport aux autres ainées et au chapitre dans sa totalité:

« Et ne pouvant laditte première aisnée attirer une des trois autres aisnées à son party, elle se debvra conformer à la pluralité desdittes quatre aisnées, qui représentent ledit chapitre, lequel demeure supérieur de laditte première aisnée, ainsi que de toutes les autres chanoinesses en particulier »[xii].

Pour en revenir à Mme de Melun, première ainée durant 29 ans, il semble qu’elle figure comme une exception dans la fonction. En effet, les premières ainées occupaient habituellement le poste nettement moins longtemps.

Ainsi, Mme de Sainte-Aldegonde de Noircarmes devient première ainée au décès de Mme la princesse de Nassau le 9 octobre 1727 ; elle le reste jusqu’à sa mort le 31 octobre 1728, soit un peu plus d’un an.

Mme de Nassau l’était devenue le 29 novembre 1717, au décès de Mme de Conflans, jusqu’à sa mort le 9 octobre 1727, soit un peu plus de 10 ans.

Mme de Croÿ Solre et du Saint-Empire, qui a succédé dans la fonction à Mme de Melun le 7 janvier 1757, l’est restée jusqu’à sa mort le 1er juin 1759, soit deux ans et demi.

Mme de Nassau, reçue au chapitre le 14 juin 1666, avait une ancienneté de 51 ans quand elle devint première ainée ; l’ancienneté de Mme de Sainte-Aldegonde de Noircarmes était de presque 49 ans ; celle de Mme de Melun de 49 ans et celle de Mme de Croÿ Solre de 61 ans.

Par comparaison, les quatre dernières ainées (lors de la suppression du chapitre en 1794) avaient respectivement comme ancienneté au chapitre : Louise de Croix 53 ans (première ainée), Ferdinande de Croix d’Heuchin 46 ans (2e ainée), Marie Louise d’Argenteau 42 ans (3e ainée) et Louise de Renesse 40 ans (4e ainée)[xiii].

Quant aux Demoiselles (titre exact que portaient les chanoinesses avant qu’elles ne reçoivent celui de « Dame » le 22 mai 1760) de Melun, de Nassau, de Sainte-Aldegonde de Noircarmes, de Croÿ Solre … il ne reste rien de directement visible qui les concerne dans la collégiale. Mais grâce à Léopold Devillers, relayé à la fin par Ernest Matthieu, il est toujours possible de retracer les parcours de quelques chanoinesses et de se souvenir de personnes qui, autour des reliques de sainte Waudru, ont toujours pris soin de la population, dans l’esprit initié au VIIe siècle par leur sainte patronne, sainte Waudru.

 

 

Benoît Van Caenegem

Conservateur de la collégiale Sainte-Waudru

et de son Trésor

[i] DEVILLERS Léopold, Mémoire historique et descriptif sur l’église de Sainte-Waudru, à Mons, Mons, 1857.

[ii] Numéro 222 des pierres tombales données par Léopold Devillers dans son Mémoire … Il situe la pierre « Nef de droite – pavement ».

[iii] Il s’agit probablement de la chapelle paroissiale dont une des verrières représentait sainte Waudru et saint Vincent. A moins qu’il ne s’agisse d’une partie du déambulatoire proche de l’autel dans lequel étaient conservées les reliques de sainte Waudru enfermées dans la châsse de 1313.

[iv] AGATHA, Archives de l’Etat en ligne, Mons, Sainte-Waudru, Actes de sépultures et décès (1736-1770), https://agatha.arch.be/data/images/524/524_0697_002_01960_000/0_0150

[v] C’est aussi le cas pour Mme de Mérode décédée en 1685 et dont le caveau se trouve dans la chapelle Sainte-Aldegonde.

[vi] DEVILLERS Léopold et MATTHIEU Ernest, Chartes du Chapitre de Sainte-Waudru de Mons, tome 4, Bruxelles 1913, page 570.

[vii] Walincourt, Clary, Selvigny, Sainghin (en-Weppes ou en-Mélantois), Malincourt sont des communes françaises (anciennes ou actuelles) du département du Nord – région Hauts-de-France.

[viii] Site Web des Archives départementales du Nord – Marquette-lez-Lille / BM [1645-1695]5 Mi 044 R 388 – consulté le 11 septembre 2025. Via le lien https://archivesdepartementales.lenord.fr/ark:/33518/2mkr8zfspnjl/813aeccc-6ccf-49de-b072-e0cb4704d138

[ix] AGATHA, Archives de l’Etat en ligne, Actes de sépultures et décès Mons : Sainte Waudru (1711 – 1735)  https://agatha.arch.be/data/images/524/524_0697_002_01959_000/0_0111

[x] Idemhttps://agatha.arch.be/data/images/524/524_0697_002_01959_000/0_0103

[xi] AGATHA, Archives de l’Etat en ligne, Actes de sépultures et décès Mons : Sainte Waudru (1736 – 1770)  https://agatha.arch.be/data/images/524/524_0697_002_01960_000/0_0166

[xii] DEVILLERS Léopold et MATTHIEU Ernest, Chartes du Chapitre de Sainte-Waudru de Mons, tome 4, Bruxelles 1913, page 528-529 : « MMDCXXXIII. Décret de Sa Majesté, portant que la dame aînée du chapitre de Sainte-

Waudru doit se conformer à la pluralité des voix des quatre aînées, lorsque celles-ci représentent le chapitre, et aux décisions de celui-ci ».

[xiii] Dans le Calendrier du Hainaut pour l’année M. DCC. XCIV., l’ordre des chanoinesses est le suivant : « Chanoinesses. Mesdames, les quatre Ainées. De Croix, D’Heuchin, de Harrach, D’Argenteau ». Suivent alors, par ordre d’ancienneté les autres chanoinesses : « De Renesse, De Renesse, D Nassau de Corroy, De Gavre d’Ayseaux, … ». Les 5e et 6e par ordre d’ancienneté sont bien deux sœurs de la famille de Renesse. Mme d’Harrach (3e ainée) étant décédée le 14 février 1794, les 4e et 5e chanoinesses par ordre d’ancienneté gagnent une place. Les quatre ainées sont alors, jusqu’à la suppression définitive du chapitre, Mesdames de Croix, d’Heuchin, d’Argenteau et de Renesse.